Les Dimanches de l'ACID : L'Usine de Rien
Dimanche 4 Février à 10h45
Les Dimanches de l'ACID, c'est la reprise d'un film parfois passé inaperçu dans l'actualité cinématographique, et pourtant remarquable (et remarqué par l'ACID !), habituellement suivi d'une rencontre avec le/la réalisateur/trice, et animée par un cinéaste membre de l'ACID, bref, c'est un bon moment.
Dimanche 4 Février, ce sera l'Usine de Rien, film portugais de Pedro Pinho, exceptionnellement à 10h45, et exceptionnellement, en raison de sa durée, uniquement précédé d'une introduction par Naruna Kaplan de Macedo, cinéaste membre de l'ACID
Une nuit, des travailleurs surprennent la direction en train de vider leur usine de ses machines. Ils comprennent qu'elle est en cours de démantèlement et qu'ils vont bientôt être licenciés. Pour empêcher la délocalisation de la production, ils décident d'occuper les lieux. À leur grande surprise, la direction se volatilise laissant au collectif toute la place pour imaginer de nouvelles façons de travailler dans un système où la crise est devenue le modèle de gouvernement dominant.
En démantelant une usine pour démanteler la valeur travail, L'Usine de rien crée ici une fabrique cinématographique de tous les possibles. Le film, grande fresque sociale et politique à la fois humble et véhémente, traverse les abus vampiriques d'un système à l'agonie, non pas dans un chant partisan mille fois entonné mais par le biais d'une approche tout aussi fantaisiste que profondément ancrée dans la réalité sociale des travailleurs réifiés de l'Europe d'aujourd'hui. Vision d'autant plus cinglante que racontée du point de vue d'un pays du sud non seulement ravagé par la crise économique mais également vassalisé par l'Europe d'en haut.
L'Usine de rien est bien plus qu'un film sur le droit des ouvriers et des opprimés, il épouse en quelques sorte une lame de fond contemporaine où s'imposent de nouvelles utopies qui occupent tout un pan des citoyens du monde ne se retrouvant plus dans les valeurs du capitalisme et désirant œuvrer à sa fin.
Ereintant les théories politiques autant que les formes cinématographiques, l'Usine de rien enterre le communisme car il faudra bien sortir « du fétiche de la marchandise », l'autogestion car dans le fond c'est « exécuter contre soi la loi du marché ». Alors quel chemin emprunter lorsque l'anarchie a vécu, que le nihilisme destructeur et la sublimation « bobo » des ateliers transformés en laboratoires artistiques ne suffisent plus à inventer une société nouvelle ?
C‘est dans l'enceinte théâtralisée de l'usine que le film tente de défricher un chemin nouveau, comme une nécessaire ode à la liberté, un appel à la désobéissance civile, sociale, un chant anarcho–autonomiste où les paroles de « l'insurrection qui vient » du Comité invisible sont scandées comme les mantras d'un occident désespéré entonnant le requiem de sa propre perte. La forme cinématographique, elle, ne se plie de la même manière à aucun consensus d'efficacité, de cohérence formelle : la chronique sociale, la comédie musicale kitsch cohabitant avec des discours lénifiants cheminent ensemble pour donner naissance à un essai libre et foisonnant, jubilatoire et émouvant.
Et c'est sur le chant du poète révolutionnaire portugais Zeca Afonso que l'appel au désordre se déploie, l'œillet au fusil, annonçant peut être l'avènement d'un nouveau monde possible. Une résurrection viendra.
Fabianny Deschamps - Cinéaste